Protototipado y Cosmopolítica

Investigación e intervención multidisciplinaria en diseño y sociedad


Vinciane Despret, Filósofa de Ciencia, comenta el proyecto co-existencia y afectividad entre humanos y no-humanos


Vinciane Despret, destacada filósofa de la ciencia, que ha trabajado con autores como  Isabelle Stengers, Donna Haraway y Bruno Latour, compartió con los investigadores del proyecto “Co-existencia y afectividad entre humanos y no-humanos: exposición interactiva-itinerante“. Junto con presentarles los avances del prototipo y el marco conceptual del proyecto, Despret realizó una visita al zoológico Nacional de Santiago, donde pudo observar in situ las diferentes interacciones de los prototipos con los animañes.

Aquí le dejamos una reflexión publicada por Despret después de su vista.

Santiago du Chili, 18 novembre 2017
Rebecca Solnit écrit, dans “Hope in the Dark”, que « le monde semble souvent divisé entre faux espoirs et désespoirs gratuits. Le désespoir, continue-t-elle, nous demande beaucoup moins, il est bien plus prévisible et, assez tristement, bien plus sûr. Un espoir authentique exige de la lucidité — voir les troubles dans ce monde— et de l’imagination— voir ce qui se trouve au-delà de ces situations qui ne seraient dès lors peut-être pas inévitables et immuables ».
Comme Donna Haraway,Solnit nous encourage à chercher, sans innocence, des sites où des choses, des situations, des événements, des êtres humains et autres qu’ humains se mettent au travail pour rendre ce monde, localement et souvent de manière discrète, habitable, voire gros de promesses. J’ai rencontré, grâce au colloque Knowledge, cultures and ecologies qui se déroule ici cette semaine, deux enseignants de l’école de design de l’université pontificale de Santiago, Pablo Hermansen et Martin Tironi. A leur invitation, je suis allée hier matin voir les travaux réalisés par leurs étudiants en design, d’abord dans les ateliers de l’école, ensuite dans un lieu assez inhabituel : le zoo de Santiago (leur site est à son début, il faudra y retourner dans les semaines qui viennent : http://cosmopolitica.cl/cosmopolitical-desig…/quienes-somos/). L’idée qui guide les commandes auxquelles doivent répondre les étudiants est de travailler à repenser les relations avec les animaux, dans des projets concrets, en l’occurrence des projets d’enrichissement des lieux de captivité au zoo. “Les prototypes que nous faisons habituellement pour les humains, disent-ils, sont généralement mis à l’épreuve par nos proches, à qui nous demandons de les essayer. On ne peut trouver public plus bienveillant. Ils sont le plus souvent généreux à notre égard et enthousiastes par rapport à ce que nous leur proposons. Avec les animaux, c’est une toute autre affaire : ils sont, je reprends leurs termes, sans pitié à notre égard”. Les étudiants doivent travailler, et travailler encore, apprendre à connaître les animaux, travailler avec les gardiens, mettre à l’épreuve, échouer, recommencer. Ce qui, à un moment convient aux gibbons (pour ne citer qu’eux), le lendemain ne les intéresse plus. Il faut que les propositions soient solides, mais parfois pas trop, si le jeu consiste à justement démantibuler la proposition matérielle du prototype. Ils disent d’ailleurs que le terme prototype, un objet matériel spéculatif devenant cosmopolitique, n’existe plus que comme processus, ce qui les a conduits à choisir de parler plutôt de « prototyper » pour rendre compte de ce travail instable, toujours à refaire, explorant matériellement l’incertain, l’imprévisible, la surprise constante, bref, la récalcitrance de ceux à qui ils adressent leurs propositions. Ces épreuves sont d’autant plus intéressantes que les objets sont beaux, de ce type de beauté qui laisse voir le travail de la pensée (de l’hésitation et du toujours à refaire, sans garantie) à l’œuvre (voir les photos). Des cordes pour les gibbons, tressées de diverses manières selon les usages que les gibbons leur ont montré, un hamac, des tissus, une boîte à miel pour les chimpanzés, des mangeoires « à problèmes » pour les perroquets.

 


Je ne pense pas que les zoos soient de bons endroits pour les animaux, mais je crois sincèrement que ce travail non seulement rend ces lieux un peu moins tristes et mauvais, mais qu’il transforme également toutes les personnes humaines impliquées, étudiants, gardiens, enseignants, et visiteurs — qui peuvent suivre les progrès des propositions et apprécier l’inventivité des étudiants. La présence de ces objets mêle des questions politiques ( ne fut-ce parce qu’ils rappellent et interrogent, par leur présence, la légitimité de l’enfermement), des questions esthétiques, éthiques (je crois sincèrement que la perplexité des étudiants face à la difficulté du travail, le sérieux et l’engagement qu’ils manifestent relèvent de tous ces processus). M’est venue, en les écoutant et en les regardant travailler dans les ateliers et au zoo, cette idée que finalement, cet enrichissement des lieux de vie pour les animaux dont ces travaux participent, sont tout autant des enrichissements du quotidien des étudiants, soumis à des difficultés bien plus grandes que le travail habituel, obligés de rompre avec toutes leurs routines (ce qui est le motif usuel des tentatives d’enrichissement des lieux de captivité des animaux) et je crois, dans leur cas, source de plaisir et de joie.
Le même jour, en revenant du zoo et passant par les rues de Santiago, j’ai remarqué que à de très nombreux endroits, des bols d’eau étaient déposés. Ils le sont à l’attention des chiens des rues, très nombreux, qui vivent avec les citadins. C’est un véritable bonheur de voir cette cohabitation étonnante, que je n’avais jamais vue menée avec une telle tranquillité. Je sais qu’elle n’est pas parfaite, qu’il y a parfois des problèmes, mais l’impression générale est tellement belle que je n’ai pu résister au plaisir de chercher à en voir plus et en savoir plus (en sachant que mon intérêt est d’autant plus vif que Alba, l’ amie chienne qui vit avec moi depuis quelque temps, fut une chienne des rues —dans son cas, de Huesca en Espagne—, avant qu’elle ne partage ma vie : les premiers temps de notre vie commune furent très difficiles et je pouvais lire, dans chacune des difficultés et des terreurs qu’elle éprouvait dans l’espace public, l’épreuve constante qu’a dû être sa vie dans les rues d’une ville où les rapports avec les humains sont loin d’être amicaux)

 


Quantité d’histoires circulent sur les chiens des rues de Santiago (on trouve des photos de certaines d’entre elles sur internet): le fait, par exemple, que lors des manifestations étudiantes, les chiens ont clairement pris leur parti contre la police, certains menaçant les policiers, d’autres rapportant aux étudiants les projectiles qu’ils avaient lancés (veillant donc, avec beaucoup de sagacité, à l’économie des munitions). On dit également que les chiens vous accompagnent dans les limites du territoire qu’ils se sont donnés, et veillent sur vous — plusieurs histoires m’ont été rapportées selon lesquelles ces chiens ont un sens aigu des « bonnes manières » et interviennent lorsque les humains ne respectent pas ces bonnes manières (par exemple, m’a-t-on dit si quelqu’un se fait agresser). Le sens politique que Baptiste Morizot reconnaît de manière si intéressante aux loups, du fait qu’ils sont capables d’établir et de respecter des conventions, prend ici je crois, un sens particulier— Ces chiens seraient des citoyens « polis », au sens également de la polis ? J’ai pu remarquer qu’ils dorment souvent en choisissant un banc où des personnes se sont installées, sous leur protection. Les gens les caressent, leur parlent, les nourrissent. Ils ont pour la plupart l’air très en forme, sont très aimables, acceptant très volontiers les marques d’attention et les contacts. J’ai également vu une scène très étonnante : un chien qui promenait seul à vive allure est arrivé à hauteur d’un couple qui marchait tranquillement. Il a aussitôt ralenti le pas, et s’est mis à marcher à leur côté, comme s’il les accompagnait, jusqu’à ce que leurs routes les séparent. Mon collègue et ami brésilien Arthur Arruda Leal Ferreira, de passage à Santiago pour le colloque, m’a fait le plaisir de réunir, pour une soirée informelle, quelques collègues psychologues et anthropologues chiliens, pour partager tout ce que nous pouvions savoir et penser au sujet de cette cohabitation interspécifique passionnante. On a échangé quantité d’histoires — dont certaines auraient beaucoup plu à Donna Haraway et auraient confirmé sa proposition selon laquelle les chiens seraient des féministes naturels.
Une dernière chose, qui m’a touchée: Tous ceux qui ont vécu à l’étranger pour réaliser leur thèse ont dit que ce qui leur avait le plus manqué dans toutes les villes où ils ont vécu lors de ces séjours avait été la présence des chiens.